samedi 2 mai 2009

Pourquoi ce matin-là?

J'ai eu le malheur de vous avouer que je me mordais les doigts pour ne pas vous dire tout ce que j'ai envie de vous dire.
Pourquoi ça vous énerve tellement que je ne vous dise pas tout? Hein? Pourquoi? 
Comme me l'a fait savoir un lecteur, un jour je serai vieux et financièrement confortable, et ce jour-là, croit-il, je parlerai. Allons donc!
 
Va pour le vieux, même que je le suis déjà un peu, mais je ne serai jamais riche, jamais friqué. Ça je le sais. De toute façon, ni l'âge ni le fric  n'ont à voir avec la liberté, surtout pas celle de parole.

Tiens, je m'ennuie de Bourgault. Il n'a jamais eu de fric, lui, il est devenu vieux, mais ça ne l'a jamais empêché de dire librement ce qu'il pensait, surtout quand il pensait que ce qu'il pensait était socialement pertinent, plus qu'acceptable.

Je m'ennuie de mon ami, pas tous les jours, mais souvent. Pas de ses envolées oratoires ou littéraires, je m'ennuie de mon ami, c'est tout. De cet homme que j'ai connu si tard.

 On a tellement rigolé, tellement parlé, tellement dit de mal, mais aussi de bien dans le dos des autres, tellement refait le monde au bout de sa table de salle à manger, lui devant son verre de vin minable et moi, à la main, le scotch qu'il achetait au cas où je m'arrêterais. Douce attention, non? 

Une confidence? Et pourquoi pas?

 L'autre matin je me suis réveillé en pleurant. Des larmes bouillantes coulaient sur mes joues. Je pleurais sans raison. C'était un matin comme les autres sinon que ce matin-là, je me suis réveillé en pensant à lui. Et j'ai réalisé qu'il avait été le seul sur cette terre  à qui je disais tout, tout ce que j'avais sur le coeur, sans honte, sans gêne, sans cette castrante et irrépressible impression d'être jugé. 

Oh! N'allez pas croire, lui aussi parlait. Il n'y avait pas que moi, pas que mes joies à moi, pas que mes peines à moi. Mon ami ne faisait pas qu'écouter. Il lui est arrivé de m'engueuler, il nous est arrivé de NOUS engueuler,  il m'est arrivé de me faire remettre à ma place, et il lui est arrivé aussi de m'appeler en plein désespoir, en plein désarroi. Et il m'est arrivé d'accourir et de le trouver en larme et de le serrer  comme on serre dans ses bras un enfant démuni. Et il lui est arrivé de me consoler parce que j'étais largué. 

Une des choses que j'aimais chez lui, c'était l'heure. Il la donnait toujours juste, ne faisait jamais semblant, quitte à blesser, peu importe le moment. Or,  il y avait chez lui un côté du mur à l'ombre.

Je m'ennuie de nos niaiseries, de nos discussions qui portaient souvent sur le sexe, la beauté et la séduction; sur les garçons qu'il trouvait beaux; sur les filles que le printemps rendaient si belles à mes yeux;  sur le cul qu'il ne pratiquait plus; sur celui des femmes dont je ne me lassais pas;  sur les passions qui m'étouffaient et sur les siennes qu'il avait volontairement repoussées pour ne plus en souffrir.

Oui! Ce matin-là, en me réveillant, allez savoir pourquoi,  j'ai senti le vide; le vide qu'il a laissé. Pourquoi ce matin-là? Ça fait un bail pourtant qu'il est mort.
 Or, ce matin-là j'avais envie de lui parler, parler à mon ami, juste parler, juste être entendu plus qu'écouté... 

 

8 commentaires:

A.MacKenzie a dit…

Bravo ! Dire ce qu'on a dans le ventre quelle immense cadeau quand nous pouvons le faire ! et se le permettre (parce que, croyez-moi ce n'est pas toujours permis de le faire même au Canada...tiens ! chez-nous, par exemple, dans nos réserves indiennes).

moments égarés a dit…

Qui s'énerve? Celui qui lance sa ligne? Celui qui y mord?
Quand on parle (ou écrit) pour charger de sens un silence, faut-il s'étonner que ce silence fasse tant de bruit???

moments égarés a dit…

Qui s'énerve? Celui qui lance sa ligne? Celui qui y mord?
Quand on parle (ou écrit) pour charger de sens un silence, faut-il s'étonner que ce silence fasse tant de bruit???

(désolé pour l'erreur technique d'où la répétition)

Stephane.G a dit…

Franco j'en sait rien mais je lance une hypothèse, ca se pourrait tu que Bourgault se foutais éperdument du cash et du matériel et que pour lui seul comptais la libertee?

Et en passant j'te trouve pas vieux...c'est dans la tete qu'on est vieux

mimmi a dit…

Est-ce que le chien de Bourgault ne vient pas de mourir? Ce serait le dernier lien vivant avec votre ami qui disparaîtrait et ainsi, votre ami serait mort pour de BON.

La Shirley a dit…

Maudite faucheuse sale qui nous prends nos coeurs, nos oreilles et nos bouches,nos amis, nos confidents, nos "gage" à con ...maudite faucheuse ...

Carl a dit…

Plus tu avances dans la blogosphère, plus tu te laisses aller.

Tu vois que ça donne bien des choses un blogue :)

Michel Vallée a dit…

On ne meurt pas tant qu'on vit dans la pensée de quelqu'un que ce soit dans la pensée de quelqu'un qui nous a aimé ou de quelqu'un qui nous a détesté. Bourgault n'est pas près de mourir car il avait autant d'ennemis que d'amis.

Pour "mimmi", je souligne que Pierre Bourgault n'avait pas qu'un chien dans sa vie.