lundi 27 avril 2009

poussière tu redeviendras poussière...

Tout ça a assez mal commencé finalement. D'ailleurs, «commencé» est-il, dans ce cas-ci, le bon mot? Terminé serait plus adéquat.

Marie-Louise, 92 ans, n'a passé que quelques heures à l'hôpital. Troubles respiratoires. Un dernier spasme et pouf! Elle s'est éteinte.  Elle est morte.


Je l'aimais bien Marie-Louise. Elle avait été ma première belle-mère, ma seule vraie, d'ailleurs. Française jusqu'au bout des doigts, on ne pouvait l'être plus qu'elle sans s'appeler Eiffel.

Or, elle était née et avait grandi au Vénézuela. À l'époque des colonies, même si cette terre de contraste n'avait rien de gauloise. Or, c'était l'époque où la France, la FFFFrrrrrance avec plein de grands F et de petits r déployait son savoir et son pouvoir à travers le monde.


C'est à Caracas, la Capitale, qu'elle a connu son époux, Roland. Il était jeune, beau comme un acteur de cinéma. Français, lui-aussi, pied-noir, en fait, il arrivait directement du Maroc où son père, déjà, oeuvrait dans les ponts et chaussées. En bon fils, Roland a pris la relève. Et entre français, d'un bal à l'autre, d'une mondanité à l'autre, Marie-Louise et lui se sont rencontrés.


Ils se sont aimés, plus qu'à l'accoutumé, fondèrent une famille. Ils étaient à l'aise, presque riches, confortables diraient-on aujourd'hui.


À un moment de leur existence, famille exige, ils se sont mis à voyager entre la France et l'Amérique du Sud.


Juan-Santiago, l'aîné, comme il se doit dans ces milieux, a étudié en Suisse. Gai, et aîné! Son père qui avait pourtant le coeur gros comme une montagne n'en sût officiellement jamais rien. De toute façon pour cet homme à l'esprit libre dans le plus joli sens de l'expression, en dépit de l'époque qui fût la sienne, l'orientation sexuelle de son fils n'aurait jamais suffi a changer l'amour qu'il éprouvait pour lui.


La cadette, elle, Catherine était belle à faire tourner les têtes et à retourner les coeurs. Une crinière de lionne, un minois d'enfer et une dégaine. Elle avait en elle, quelques démons bien inoffensifs finalement; la séduction à l'état brut.


Puis vint la benjamine, la femme que j'ai aimée pendant des années, grâce à qui je suis devenu un homme (!) et que cruellement j'ai blessé comme un animal. Or, elle avait hérité du coeur démesurément grand de son papa. Et grâce à ce coeur, à sa bonté, à générosité, nous avons gardé contact au plus grand bonheur de notre fille.


Alors? Marie-Louise? Ah! oui! Marie-Louise. Or, avant de revenir à elle, sans vous raconter la vie de Roland, sachez qu'il est mort en 1986, à Cannes. Le coeur. Quand on meurt, c'est toujours le coeur. Il arrête. Peu importe de quoi on souffre, c'est toujours lui qui décide. Et quand il en a marre de battre, hop! c'est fini.


Il a rendu l'âme en avril. C'était vachement beau. C'est toujours beau le printemps sur la Côte d'Azur. Je me rappelle m'être dit, tiens, je voudrais partir et être enterré un jour comme celui-ci, un jour qui sent la vie et les fleurs. Un soleil déja chaud, un léger vent, pas un mistral, c'est trop froid le mistral. J'ai gardé un joli souvenir de sa mise en terre. Le cimetiere ressemblait a un jardin.


Après, eh! bien, la vie a suivi son cours. Marie-Louise, désormais veuve, partageait son temps entre Cannes, le Vénézuéla oû elle avait encore de la famille et Montréal où s'étaient installés, clopin-clopan,  ses trois enfants .


Le va-et-vient qui n'avait rien de ridicule a duré pendant des années. Jusqu'à ce qu'elle rende l'âme a son tour. J'allais écrire jusqu'à ce qu'elle leve les pattes à son tour, mais cela n'aurait pas été élégant, ni poli. Cela n'eut pas convenu à Marie-Louise. Elle  n'aurait guère aimé. Marie-Louise appréciait l'étiquette, les bonnes manières, la déférence. Marie-Louise, vous l'ai-je dit, était très Vieille France. Marie-Louise n'était pas une vieille dame indigne. Marie-Louise était la plus digne des vieilles dames.



Digne ou pas, elle est quand même  morte a 92 ans. Les funérailles eurent lieu à Outremont à deux pas de chez elle. Elle trônait là, dans une urne de verre violette, souvenir d'une enfance lointaine. Ses cendres y furent déposées et reposaient en paix aux yeux et au su de tous.


Au salon funéraire de l'avenue Laurier, il y a avait foule, comme il se devait. Du monde, beaucoup,  venu lui rendre un dernier hommage. Tous aimaient Marie-Louise, jeunes et vieux. Elle était de celles qui faisait l'unanimité. Des Marie-Louise, y en a jamais eu beaucoup.


Puis, après un moment de recueillement, le croque-mort qui aujourd'hui n'en est plus vraiment un, a invité les gens à le suivre à pied jusqu'a l'église située a deux enjambées. Or, il fallait quand même sortir de ce morbide lieu. Il prit donc le joli vase contenant les cendres de Marie-Louise dans ses mains et s'avança, bien décidé à ouvrir la marche.


Et c'est a ce moment précis que l'impossible se produisit. Allez savoir comment cet homme qui devait poser ce même geste des dizaines de fois par semaine, échappa Marie-Louise? Enfin, échappa l'urne... enfin, échappa ses cendres qui se répandirent sur le sol de marbre telles  de tout petits, petits lapillis.

Un Hon! percutant de surprise et d'étonnement se fit entendre et des sourires réprimés s'étouffaient.


Par miracle, le vase ne se brisa pas.  Seul le bouchon sauta.

Et voici ce qui restait de cette vieille dame si digne qui tenait tant a l'étiquette. 

Femme croyante parmi les croyantes, elle n'aurait jamais cru, j'en suis certain, coller de si près à sa bible sacrée: et poussière, Marie-Louise était redevenue poussière.


Un coup de balaie et plus rien n'y parut.