mardi 11 août 2009

LE GÉANT AUX COURTES JAMBES...

Quelle paresse! Aujourd'hui, je suis Africain, Haïtien peut-être; voilà, je suis  Dany Laferrière, la couleur de la peau et le talent en moins.
Je déambule; lent, accablé par une trop rare chaleur. Alangui. Prêt à rêver; à tout, mais surtout à rien.
 Je suis pas à pas le chien Clovis qui grandit, par ailleurs, et j'attends qu'il se couche. Ce qui ne tarde pas. Et je me couche aussi.


Ça fait des jours que je me botte le cul pour écrire quelques lignes... Je ne dois pas botter assez fort.


Et v'là qu'aujourd'hui, il fait chaud, vraiment plus chaud qu'à l'ordinaire. Drôle de pays, l'été qu'on attend depuis le 21 juin est là, enfin. La cigale chante depuis quelques jours. Si, si, je l'entends. Nous sommes mi-août et elle chante. Or, on ne l'a pratiquement pas entendue de l'été. Il faisait trop froid, trop humide pour la cantatrice; déjà qu'elle est chauve, l'abondante pluie l'a rendu aphone.


Aujourd'hui, toutefois,, elle chantonne; comme si elle s'était soudainement souvenue des délires animaliers de Jean de La Fontaine et de sa fourmi.



«Vous chantiez? J'en suis fort aise et bien dansez maintenant».



Cigale, tu peux dormir tranquille. Vrai, la fourmi n'est pas prêteuse, mais nul besoin de quémander cette année. T'as pas bossé, mais t'as pas non plus beaucoup chanté.


                                                                         • • •



C'est l'histoire d'un gamin à La Ronde ou d'un géant aux courtes jambes.

Gamin rêvait du parc d'amusement comme tous les petits de son âge rêvent d'émotions fortes. On n'y échappe pas. Faut les y emmener au moins une fois chaque été. Le paradis des enfants est parfois l'enfer du parent.



Gamin, donc!

 C'était sa journée. Enfin. Les manèges l'attendaient, surtout le gros-là, l'immense devant lequel des centaines de kids comme lui faisaient la file. Un manège énorme, monstrueux. L'altitude d'abord, la lente ascension et l'interminable chute dans le vide à vitesse grand V. Une telle descente que ça vous chatouille le bas du ventre. Voyez, ce que je veux dire.



C'est la première fois qu'il peut officiellement y grimper et enfin goûter à l'aventure. La première fois qu'il est assez grand. Il le sait parce qu'avant de s'enfoncer dans la longue queue qui le mènera là- haut, plus loin, Gamin a bien pris soin de se mesurer à l'étalon d'accès.


-«Bon, a dit le gardien, tu peux passer».


Gamin était si fier, si heureux. Et comme les autres, il s'est mis en ligne. Il était prêt à tout, même à attendre deux heures sous le soleil pour enfin grimper dans un des wagons du train de l'enfer.


Avec son copain, Gamin a donc pris place. C'était bien sûr la cohue; les cris de joie, de nervosité, de peur. En s'assoyant dans le wagonnet, Gamin était enfin aux portes du plaisir. Vous savez, celui qui vous chatouille le bas du ventre. Il avait tant attendu. Tellement  d'années.

Comme il se doit, le préposé est passé de chariot en charito pour abaisser la barre de sécurité. Gamin et son copain  frétillaient. L'employé  a descendu la garde pour tout d'un coup, sans regret, ordonner à Gamin de sortir de son siège et de redescendre parce qu'il n'avait pas la taille nécessaire pour ces folles montagnes. 

Gamin ne comprenait rien.  Il a rétorqué au responsable qu'il devait se tromper, qu'il s'était mesuré à l'étalon, en bas, avant de faire la file, avant  d'attendre deux heures.

Rien pour ébranler le mis-en-charge.

-Non, tu n'as pas la taille; quand tu es assis, tes pieds ne touchent pas le sol.

Gamin n'y comprenait toujours rien. Ça se bousculait dans sa petite tête. Comment se pouvait-il qu'en bas du long escalier, il était assez grand pour se lancer dans le vide et qu'ici, à deux pas du but, il était devenu trop petit.

Inflexible, sans compassion pour Gamin qui, vous imaginez bien, réprimait ses larmes, le détenteur de petit pouvoir, tel un général sans coeur, a montré la sortie à Gamin qui, la tête basse, est redescendu, seul, beaucoup plus vite qu'il n'était monté, ne saisissant surtout pas qu'il avait un long torse et de courtes jambes. 

Comme quoi, même géant,  on peut être petit.