samedi 18 avril 2009

les mort-vivants

Elle a eu 86 ans, hier. Fallait que j'y aille. Je dis «fallait» parce que j'ai peur, parce que j'ai mal, parce que je préfèrerais qu'elle soit...ou qu'elle ne soit plus.  J'peux pas dire ça, hein? Et pourtant!
Les trois étages m'ont semblé une montagne, l'Everest à gravir, sans camp de base, sans relais, sans sherpas. L'Everest à gagner sans oxygène ni assistance. 
Enfin,  le troisième étage. Dans la salle commune, elle n'y était pas. Il n'y avait que des jeunes vieux qui, à côté d'elle, ont l'air d'enfants en train de festoyer, vifs, éveillés, regardant, scrutant qui peut bien oser entrer dans leur enclos de l'oubli.
Mais déjà, l'oeil est hagard. La route vers le vide est toute tracée et ils l'ont tous, sans exception, empruntée; empruntée sans aucun espoir de pouvoir la rendre.
Mamina était dans sa chambre, dans sa prison à fenêtre et à porte ouvertes, enchaînée à sa chaise, en contention. Comme si elle pouvait s'évader...
Elle avait les yeux collés par l'infection.  Une infection venue d'où? Qu'est-ce que j'en sais? Il y avait du pus, jaune, dégueulasse. Son oeil droit n'était plus le même. La couleur avait pâli. Le noir de son regard sicilien s'était délavé. Si au moins elle pouvait parler.
Mamina,   était affalée dans son fauteuil à roulettes. Je suis entré. Elle n'a même pas  levé la tête. J'ai dit son nom, doucement, elle n'a pas bougé. 
Je ne la reconnais plus. Ce n'est plus elle. depuis longtemps, ce n'est plus elle. C'est la mort qui sommeille.
J'ai eu la nausée.
Puis l'idée m'est venue de lui faire entendre une chanson, une chanson italienne qu'elle connaissait bien. Je l'ai retrouvée sur le net. L'histoire  d'un fils qui a quitté sa terre pour l'Amérique et qui supplie la lune, oui, la lune américaine pour qu'elle porte un message à sa maman délaissée, un message d'espoir, d'amour, pour qu'elle lui fasse croire que tout va bien. Il demande à la lune américaine de mentir pour que sa mamma soit , un instant, heureuse, pour qu'elle ressente, un moment seulement, du plaisir.
Dès les premiers accords, Mamina s'est agitée. Enfin, pas tout à fait, disons qu'elle a été troublée. Elle s'est mise à bouger nerveusement; une main d'abord, et puis l'autre. Elle a essayé d'ouvrir les yeux, un oeil en fait. l'autre résistait. Ses pieds aussi se sont déplacés comme autrefois quand, à la manufacture, repliée sur elle-même, elle activait la machine à coudre.
J'avais juste envie de pleurer, de pleurer et de vomir.
Plus de 15 ans que ça dure. C'est pas une vie. Non, pas une vie. La mort avec juste un petit souffle pour prolonger l'attente, la souffrance. Un frein à la libération ultime.
Tout ça, à cause d'un corps abandonné par une mémoire envollée.
Sti! Qu'est-ce qu'il disait don'? Libérez-la du mal. Ben oui, libérez-la don'! 

4 commentaires:

Sebas a dit…

Ce qui est drôle, c'est que selon la religion catholique, Jésus est venue nous libérer de nos souffrances... franchement, si ça c'est pas souffrir, c'est quoi?

Je peux comprendre dans le cas d'une personne à tendance suicidaire que l'on fasse tout pour l'aider, mais une personne en fin de vie comme celle là... il faut l'aider à arrêter ses souffrances. Point.

Michel Vallée a dit…

J'ai vécu ce drame aussi de voir un de mes proches s'en aller tranquillement sans vraiment nous quitter. Heureusement, sa libération n'a pas attendue pendant 15 ans. Mais quelque soit le temps que ça dure, c'est un abandon graduel extrêmement pénible pour la victime et tout autant pour l'entourage.

Je me suis souvent demandé pendant tout ce temps pourquoi l'humain n'avait pas le même privilège que les animaux d'être assisté pour mettre fin à son tourment qui est irrémédiable.

Il faudra bien qu'un jour notre socièté accepte de débattre de ce sujet. Je considére que notre médecine, étant donné son état, pratique quotidiennement l'euthanasie douce, en ne vous admettant pas dans le système assez rapidement. Tant qu'à agir ainsi, hypocritement, pourquoi ne pas permettre aux morts vivants une mort douce qu'ils appellent de toutes leurs fibres?

Mes Lectures Le Blogue a dit…

Je trouve votre texte très touchant, mes parents sont vieux aussi, et malgré tout en assez bonne santé. J'y pense que ça pourrait arriver mais je le souhaite pas, comme tout le monde.

Les vieux ne meurent pas, ils s'endorment un jour et dorment trop longtemps ... Jacques Brel

ltremblay a dit…

Elle avait 86 ans. Il y avait longtemps qu'elle se montrait fâchée après son fils quand il la visitait; c'était difficile et il y allait moins souvent. Quand j'allais la voir, elle disait "Emmène-moi à la maison", elle répétait ça. Lors d'une visite, j'eus l'idée de lui chanter " À la claire fontaine" et beaucoup d'autres airs du même genre; elle me regardait, m'écoutait, répétait sa demande.. Et puis, un jour, son regard s'est plongé dans le mien et comme si elle venait de s'éveiller, elle m'a dit "t'es belle toi".